
Mission encre noire
Émission du 15 février 2022
Mission encre noire Tome 33 Chapitre 375. Western Spaghetti par Sara-Ànanda Fleury paru en 2021 aux éditions Le Quartanier dans la série QR. Et vous dans quelle vie vivez-vous? Interpelle Turtle dans la première des huit nouvelles qui compose ce recueil. On a beau être blanche, polie et maquillée, il faut bien nourrir sa famille malgré son compte bloqué. Arnold, lui, doit composer avec un beau-père, ancien alcoolique qui a viré évangéliste. Montréal ne devait être qu’une escale de 24 heures pour Mohamed, un jeune artiste d'origine kabyle, qui raffole de sa lumière. La ville est tellement belle. Doit-il partir ou bien rester? Trois enfants se posent même question. Ils vivent à leur manière un été brûlant sur la péninsule Bruce, entre la baie Géorgienne et le lac Huron. Une danseuse française de passage à Montréal avec sa petite famille, en profite pour revisiter son quartier préféré et ses fantômes. Un homme veuf découvre sur une série de diapositives inconnues, la double vie de sa femme décédée. Il décide de provoquer son ancien amant en duel. Wendy et Greg, deux professeurs d’urbanisme à l’université de Victoria confient l'entretien de leur maison, en leur absence, à un jeune couple improbable, qui déteste la vie ordinaire. Laura et Paul Habitent la réplique exacte d’un chalet Suisse sur l’avenue Rockland à Montréal. Leur permettra-t-il de lutter contre vents et marées. Ces admirables nouvelles révèlent les vies secrètes des familles, les trahisons, la force du lien qui les unit. Chaque expérience de vie, aussi banale soit-elle, vous rappelleront un quotidien ou des situations qui vous ressemblent étrangement. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Sara-Ànanda Fleury.
Extrait:«Les enfants d'ici sont initiés à la terreur. On n'invente rien, finalement, on ne fait qu'attiser les frayeurs déjà tapies dans les coins, derrière les portes et sous les lits, logées là au fond du ventre. On pétrit ces images-monstres comme des figures de pâte à sel, et il n'en faut pas plus aux habitants de la péninsule pour croire aux bêtes qui dorment dans les cavernes sous les lacs, et qui parfois remontent à la surface pour réclamer leur dû. Ainsi les années passent. Les enfants restent. Peu d'entre eux essayeront de quitter ce territoire, et encore moins nombreux sont ceux qui tenteront de traverser le lac. Tout le monde ici sait naviguer, mais personne ne sait naviguer aussi loin, ou s'ils l'ont su, ils ont appris à l'oublier. Comme le reste.»
Orange Pekoe par Benoît Bordeleau paru en 2021 aux éditions de la maison en feu. C'est à travers le regard de l’enfant, que Benoit Bordeleau, réinvente le territoire de ses souvenirs. Il se remémore le défunt grand-père, les lieux habités, les objets déposés ici et là. Chaque fragment d'écriture est l'occasion d'investir un territoire nouveau et de lutter contre les engrenages de l’oubli. L’auteur redécouvre ainsi un immense plaisir à arpenter les mots, à déambuler parmi les choses, à nommer les gestes, à mettre ses pas dans ceux de son grand-père, comme dans ceux des gens ordinaire croisés dans un décor autrement plus urbain. Dans Orange Pekoe, on marche le quotidien, pas à pas. On flâne. La mémoire de l’adulte se confronte aux souvenirs de l’enfance. Délicatement, l’auteur déplie un à un des morceaux choisis d’une vie solitaire en héritage, alors rangés dans de petites boîtes de photographies. La mémoire, on la porte sous le larynx. L'écriture donne la mesure du désordre. Benoît Bordeleau est invité, ce soir, à Mission encre noire.
Extrait:« Assis dans berçante, le grand-père essaie de se souvenir à quand remonte sa connaissance de celles et ceux qui peuplent l'autour. Aucune date, aucun événement notable ne surgit à sa mémoire. Dans le recoin des petites souvenances ne lui reviennent que des grilles noires sur papier gris, parsemées de tâches bleues. Calendriers, mots-cachés? Il ne sait pas et alors il fait savoir - à qui veut l'entendre - qu'il vaut mieux avoir sous le capot des miettes d'engrenages que d'avoir dans l'oreille le ronflement constant d'un bétail depuis longtemps disparu (...) L'encombrement tient de la citadelle. Il met à disposition les fragilités - la vôtre, la mienne - et les fait s'unir, le temps de mettre l'eau à bouillir.»