Émission du 23 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 410. Daniel Grenier Héroïnes et tombeaux paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Alexandra Pearson, originaire du Tennessee, lit le New York Times dans cette ville secondaire brésilienne à l’ouest de Porto Alegre : Uruguaiana. Aujourd’hui journaliste, la jeune femme qui avait cheminé aux côté de Françoise dans le roman précédent de l’auteur, part à la recherche, cent ans plus tard, d’un étrange personnage, Ambrose Bierce, auteur du Dictionnaire du diable. Il serait mort fusillé en 1915 au Mexique et réapparu, bien vivant, à des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, elle devra mettre la main sur un manuscrit inédit. Pendant ce temps, comme l’annonce le journal, une certaine Helen Klaben décède à l’âge de 76 ans. Autrefois, elle a fait la Une du Life magazine, le 12 avril 1963, après avoir survécu 49 jours dans le froid du Yukon suite au crash de leur avion le 3 février 1963. Étrange coïncidence, ce nom, lui semble familier. Il lui remémore un souvenir amer, celui de Françoise, cette fille à qui elle n’a fait que mentir. À l’époque elle se faisait appeler Samantha. Dans ce troisième livre qui se veut un hommage à Ernesto Sabato, l’auteur nous entraîne dans un étrange roman d’aventures dans lequel il explore une fois encore le territoire américain et il s’interroge sur la responsabilité de celui qui raconte les histoires des autres. Sur un air de Carioca, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Daniel Grenier.
Extrait: « D'un côté, il y avait Helen Klaben, cette jeune femme de Brooklyn qui rêvait aux grands espaces. De l'autre, il y avait Ambrose Bierce au seuil de la mort, croupissant dans un lieu exigu aux murs humides et suintants. Entre les deux, Alexandra oscillait constamment. Klaben avait de l'ambition, elle voyait grand, elle sentait au plus profond de son être qu'elle avait quelque chose à apporter au monde. L'expérience de l'écrasement, de la survie en forêt, si extrême qu'elle eût été, n'était qu'un tremplin vers une plus grande conscience du monde et de la place qu'elle y occupait. Bierce aussi avait eu de l'ambition, bien sûr, il avait lui aussi voulu vivre de grandes choses: il avait été soldat durant la guerre civile, il en était ressorti écrivain ; il avait été chroniqueur et humoriste pour des feuilles de chou, il en était ressorti aigri. À soixante et onze ans, la moustache blanche et les cheveux clairsemés, il était parti à cheval vers une autre guerre civile, et il en était ressorti avec quoi ? Avec une tête coupée et des ennemis mangeurs d'hommes. Ce qui les rapprochait, ces deux-là, c'était leur rapport ambigu avec la prédestination. Cette impression souveraine, implacable, honteuse, parfois, qu'ils avaient été destinés à de grandes choses. Helen avait, en quelque sorte, rêvé à son accident et à sa survie. Ambrose avait en quelque sorte, fantasmé sa disparition et sa persécution.»
Trop de Pascale par Pascale Bérubé paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. Qui es-tu Pascale? Ou plutôt qui aimerais-tu être? Qu’est-ce qui te définit vraiment? Serais-ce le reflet d’une mère aimée, celui d'un vêtement, d'une image, un code numérique, une star de ciné? Quelle identité saisir lorsque l’on passe autant de temps devant des écrans? Qu’est-ce que cela creuse en nous qui nous sépare de l’enfance? Qui est, alors, ce visage reconnue dans la glace du miroir? Que faire de tout ce vide qui nous entoure soudain au détour d’une image numérique froide et figée dans son code? Surtout si l’on refuse de se conformer à tous ces visages calculés à la mesure des désirs ordinaires? Comment exister lorsque l’on préfère à une image lisse et entendue de la féminité, l’envie d’être une chienne savante ou non? Pascale, qui est-elle? Que sais-je? Qui suis-je? Pascale Bérubé signe ici un premier recueil magnétique qui explore les thématiques du corps, de l’image, de la beauté, de la féminité et de l’identité. Qui es-tu quand ton corps fait du cinéma, pour en savoir plus, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Pascale Bérubé.
Extrait: « je serai blonde et rien d'autre, pour que les gens disent de moi: oh, pascale, la blonde. non pas pour ressembler à une autre blonde mais plutôt pour appartenir à la couleur, à l'idée de cette couleur pour la laisser me submerger, me décorer. foliage javellisé blonde platine. bleach blonde, dirty blonde, silver blonde, golden blonde, scandi blonde, blonde. j'écrirai que la vieille pascale est morte, ces formules toutes faites que les femmes utilisent pour signaler un changement radical, une réinvention complète de leur personne et de leur image, prononcer la phrase devant un miroir et la sentir rouler doucement sur la langue, un bonbon dur mentholé et piquant, satisfaisant, transformateur. je me teins en blonde parce qu'aucune autre couleur ne souligne ce désir furieux de blanchissement total du passé et d'appartenance à un féminin éternel. le peroxyde s'infiltre et cule en moi, et en nous, toutes les autres, les fausses blondes, les blondes trafiquées, sucre acide chimique qui diluera toute trace du passé. je me laisse couler dans la grande piscine des blondes, les membres de mon corps se teintent peu à peu de blanc, de beige, de nude. mon ombre se colore des reflets de toutes les blondes passées, je m'immisce dans la minuscule faille claire de leur splendeur. on devient blonde à partir du moment où quelqu'un affirme que nous sommes blonde, quand la blondeur prend forme autour de soi et que chaque geste est deviné à travers ce rideau pâle et peroxydé, quand notre reflet dans la glace est continuellement entouré d'un halo scintillant. i'm endlessly creating myself est une phrase aperçue sur internet, figée dans un petit carré blanc. une phrase écrite dans un lettrage noir simple. je n'en sors pas.»