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Mission encre noire

Émission du 17 mars 2020

Mission encre noire Tome 28 Chapitre 332. Un automne noir de Florian Olsen paru en 2020 aux éditions Triptyque Policier. Estara Villeneuve, professeur, chercheuse et enseignante à l'université d'Ottawa projette d'écrire un livre sur la vague de meurtres qui a ébranlé le Vieux-Hull quelques années auparavant. La plupart des victimes sont blanches ou presque, dans la vingtaine, diplômées de l'université du Québec en Outaouais. À l'époque la une du Ottawa Citizen, du Droit et de Radio-Canada s'en donne à coeur joie sur les crimes de «l'Automne noir». Les radios poubelles, à leur tour, se déchaînent au milieu d'une campagne électorale municipale démagogique. La terreur s'empare de Gatineau et menace l'équilibre du quartier. Estarra frissonne encore au souvenir de cette étrange période de sa vie. Un homme a été arrêté et accusé, à la lecture des conclusions de l'affaire, néanmoins  un doute subsiste. Comment Didier Saint-Louis a-t-il pu s'introduire dans des lieux publics à l'accès restreint ? Étrange. L'auteur signe ici un polar oppressant et délicieusement énigmatique. Alors que la tension monte dans votre lecture, le malaise ressenti soudain se dissimule habilement dans les replis du texte, dans ces fameuses ténèbres qui se nourrissent si bien de nos petites peurs et de nos grandes angoisses. Je vous invite à découvrir certains quartiers d'Ottawa, comme vous ne l'avez certainement que rarement lu auparavant. Ce soir, à Mission encre noire, je suis en compagnie de Florian Olsen. Extrait:« Le coupable présumé, Didier Saint-Louis, était un Néo-Canadien de racines haïtiennes, avec un passé de délinquant. La fusillade qui a éclaté quand les agents sont descendus chez lui a fait de sa culpabilité une évidence,. La ville entière aurait préféré reléguer l'Automne noir aux oubliettes. Ça ne m'a pas facilité la tâche quand j'ai signé mon dernier article. Aster reprend son souffle: J'avais des doutes. Le lendemain de la conférence de presse, j'ai publié un reportage qui répertoriait les questions auxquelles la police ne daignait pas répondre. On pouvait croire qu'il y avait eu des vices de procédure. Des témoins pas fiables, par exemple...Ça, et la police n'a jamais bien expliqué le rapport entre certaines preuves relevées sur chacune des victimes et Didier saint-Louis.» Débâcles de Marie-Pier Poulin paru en 2019 aux éditions Sémaphore. Un jeune prêtre né à l'aube du vingtième siècle dans les campagnes du nord de Montréal souhaite accomplir ce que ses héros, les premiers jésuites arrivés en Nouvelle-France et autres missionnaires ont réalisé. En Août 1930, Arthur Benoît quitte les siens pour rejoindre les peuples autochtones du Grand Nord. Il va rencontrer un inuk d'une grande beauté, Arsanuk. Invité à séjourner dans son village, il va y construire son église et une école. La vie âpre au milieu des tempêtes de neige, le soleil éblouissant et la noirceur sans fin des hivers glacials ne le découragent pas. Bien des années plus tard, Pierre repense, songeur, à cette histoire, la sienne, alors que son avion décolle de Montréal. Suite à une tragédie terrible, le destin a conduit ce jeune inuk de sept ans, à quitter sa terre natale et à rejoindre, grâce au père Benoît, le sud du Québec. Devenu médecin, il retourne, vingt-cinq ans plus tard dans son village inuit du nord du Québec. Campé à l'époque de la crise d'octobre 1970, ce poignant premier roman tisse astucieusement les portraits antagonistes de deux destins: la marche forcée vers la modernité de la province du Québec et celui d'un peuple fier et valeureux, farouchement décidé à défendre ses droits ancestraux. Piari dit Pierre incarne, malgré lui, cette alternative déchirante. Il y a des chances que la lecture de ce roman rappelle singulièrement le mouvement de dissidence récent qui oppose le peuple autochtone Wet'suwet'en au projet du gazoduc GNL aujourd'hui. Marie-Pier Poulin est invité à Mission encre noire, ce soir. Extrait: « Pierre se réveille en sursaut. Désorienté, le souffle court, il cherche du regard un indice, un élément du décor qui pourrait lui rappeler où il est. Dans la pénombre de la pièce, des murs pâles et vides, une large fenêtre dissimulée par un rideau de fortune. Il se souvient enfin. Il est de retour chez lui, au nord. Depuis deux nuits, il dort d'un sommeil de plomb. Les bouleversements des derniers temps menacent son équilibre fragile. Il se doute bien qu'une fois couché, enveloppé par la solitude de l'obscurité, son esprit pourrait s'affoler et provoquer d'interminables heures d'insomnie, faisant remonter à la surface un passé encore trop difficile à affronter. De peur d'avoir à subir les grands maux d'autrefois, il préfère s'endormir à l'aide de calmants. le matin venu, le chemin entre les profondeurs de l'inconscience et la réalité est long et affolant.»

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Mission encre noire 11 mai
Émission du 11 mai 2021
Mission encre noire Tome 31 Chapitre 358. La désidérata par Marie-Hélène Poitras paru en 2021 aux éditions Alto. Alouette, gentille alouette, Alouette, je te plumerai. Aliénor sourit malicieusement, elle a soif de justice. Depuis le bois, elle observe le domaine de Malmaison, elle, qui fait jaillir la vie animale et végétale de ses mains. Un lourd secret entoure le village de Noirax. Un silence drape l’héritage de la lignée des pères Berthoumieux, tous, l'exacte réplique du même homme. Les alcools et la bonne chair ne font qu’illusion, l’éternel souvenir de la dernière épouse repose dans la maison aux parfums, fermée à double tour sur une vérité qui dérange et menace. Pampelune, la bougresse, Héléna, la Pimparela, connaissent bien le cycle des amours déçus, des chagrins qui rongent, des enfants illégitimes. D'espoirs en défaites, c'est une rengaine d'une grande tristesse. Cependant, la rumeur se propage au village, le charme d'Aliénor agit comme un puissant parfum et se répand comme une fièvre. Le fils Berthoumieux s'en émoustille déjà. Un nouveau règne est en marche. Presque dix ans après la publication de Griffintown, Marie-Hélène Poitras lève le rideau sur ces voix que l’on tente de bâillonner. Je vous propose de nous faufiler au travers des secrets entortillés autour des racines de cette forêt et d’en animer ses marionnettes d’une main tremblante. L'autrice l'affirme : les loups sont parmi nous ! Je reçois Marie-Hélène Poitras, à Mission encre noire. Extrait:« Il y a quelques années, quand Jeanty avait quatorze ans, une nuit alors que son père dormait, il était monté au grenier et était tombé nez à nez avec un grand miroir ovale sur pied. Ce qu'il découvrit dans le reflet de la psyché le dégoûta. La ressemblance avec son père s'installait. En plus de la couleur des yeux et du nez aquilin, sur son visage les traits distinctifs des Berthoumieux commençaient à l'emporter sur la douceur de ceux de Pampelune. Le duvet au-dessus de sa lèvre, la carrure plus marquée des épaules, l'élargissement du muscle trapèze et, surtout, ce je-ne-sais-quoi d'un peu débile que les pères Berthoumieux affichaient sur leur portrait, tous ces attributs étaient en train de poindre en lui. Le constat était inévitable, la transformation bien amorcée: il ressemblait à son père. N'en pouvant plus, Jeanty tourna la psyché à l'envers. Ce qu'il découvrit de l'autre côté du miroir l'émerveilla.» La revue Moebius 168-169, Depuis la crise. Enfin ! Il est annoncé depuis quelques mois déjà, le numéro double de la revue Moebius est désormais disponible. Cette nouvelle édition, avec à la barre Stéphanie Roussel et Nicholas Dawson, se propose de renverser les tendances et de bousculer les idées reçues. À travers un thème de circonstance: Depuis la crise, le duo se propose de résister à l’isolement, de briser «les fils invisibles des confinements successifs», pour en faire un moment de solidarité et d'ouverture. Autant dire que le pari est amplement réussi par la qualité des textes publiés, mais également par le souci de variétés des sujets et des expériences de lecture offert par le comité de rédaction. Au programme de ce Moebius: Rébecca Déraspe, Katia Belkhodja, Dalie Giroux, Sandrine Galand, Marie-Christine Lemieux-Couture, Kama La Mackerel, Mishka Lavigne, Laurence Olivier, Cato Fortin, Emmanuella Feix, Si Poirier, Sophie Bélair Clément nous parle de création en temps de crise. Moebius accueille dans ses pages, pour quatre numéros, Ouanessa Younsi et Awa Banmana, en tant qu'écrivaine et artiste en résidence. Et enfin Marie-Ève Lacasse se charge de la traditionnelle lettre à une écrivaine vivante. Pour en savoir plus sur ce sommaire Stéphanie Roussel et Nicholas Dawson sont invité.e.s à Mission encre noire. Extrait:« Je fais une liste de ce que la décapitation n'est pas: une fusillade, un attentat à la voiture piégée, une bombe, un démembrement, un égorgement, une plainte académique. Je fais une liste de ce que la décapitation n'est pas, ça commence comme beaucoup de listes à cause des journaux et des statuts dans lesquels personne, jamais, n'a eu peur d'être décapité. Là où j'ai grandi, les embaumeurs apprenaient à recoudre les têtes sur les cadavres. Là où j'ai grandi, des barbus se transformaient en guillotines, on les appelait nos frères.» katia Belkhodja, Moutabarridja, p45, Moebius 168-169.
60 min
Mission encre noire 04 mai
Émission du 4 mai 2021
Mission encre noire Tome 31 Chapitre 357. Le fond des choses de Thomas Desaulniers-Brousseau paru en 2021 aux éditions Les herbes rouges. Un jeune journaliste plonge dans le récit sordide du passé pédophile d'un éminent peintre national  Michel S. Painchaud. Sans toutefois réaliser l'ampleur que cela prendrait, il se sent, malgré lui, investi d'une mission. Il profite de son accointance avec le biographe, un ancien professeur à l’université, pour s’emparer du sujet. Ravi d’échapper à son angoissante solitude et son sentiment de vide, il rejoint une victime dans un village aux environs de Thetford Mines. Promis à une brillante carrière dans le journalisme, rien n'est simple, le narrateur oscille, alors, un peu plus entre désespoir sans fond et un optimisme immodéré. Comment rapporter avec justesse les propos de cette personne? Le journaliste semble se perdre en conjectures devant le succès croissant de son enquête. Le sujet, ici, ne vous y trompez pas, sert plutôt de faux-fuyant pour entamer un dialogue avec le texte, dans une métafiction qui construit, déconstruit, forme, déforme, les faits, les personnages, et permet à l’auteur de multiplier les points de vue et les angles de lecture qui interrogent le rapport de la fiction à la réalité ou bien est-ce l’inverse. Drôle et débridé ce premier roman fascine. Le fond des choses a peut-être à voir avec l'effrayante incertitude qui gronde en nous parfois, aussi difficile à saisir qu'un chat noir dans une pièce sombre. Je reçois Thomas Desaulniers-Brousseau à Mission encre noire. Extrait:« Au bout d'un moment mes paupières devenaient lourdes, et mes propres pensées prenaient le pas sur celles de Daniel ; mes yeux parcouraient les phrases sans les lire, ne percevant dans leur succession, page après page, que le tracé coulant qui les portait, ininterrompu, plus proche du sirop que du rectiligne. Comme pour la première fois depuis mon enfance - alors que, sachant lire pourtant, je scrutais chaque mot des carnets que ma mère laissait traîner partout, hypnotisé par leur forme et rien d'autre - j'étais attentif aux lettres non plus en tant que symboles, mais pour la sensualité qu'elles pouvaient exprimer. J'apprenais une chose dont j'avais toujours eu l'intuition: en s'éloignant des formes parfaites vers lesquelles on nous disait devoir tendre, les lettres perdaient en lisibilité mais acquéraient, peut-être, une sorte d'authenticité. Les pensées ne sont jamais si limpides qu'on prétend. Souvent, le chat roux étendu sur les cuisses, je m'endormais.» L’instruction par Antoine Brea paru en 2021 aux éditions Le Quartanier, dans la série QR. Patrice Favre suit les traces de son père, il sera magistrat. Nommé temporairement juge d’instruction en banlieue parisienne, le narrateur entame le parcours obligé d’un novice dans un quotidien morne et gris. Malgré le privilège de l'héritage, quelque chose craque dans l'univers du jeune homme, au contact des coulisses de la justice française. L'illusion s'effrite au contact d'un milieu froid, impersonnel, où occasionnellement les intérêts personnels s'entrecroisent avec une forme de paranoïa politique. Favre devra bien vite adopté un langage et une posture qui ne sied pas tout à fait à sa timidité et à son caractère. Le meurtre d’un détenu emprisonné pour crime sexuel va happer le juge. D’autant plus que son prédécesseur s’est suicidé, et que d’étranges rumeurs courent autour de cette singulière affaire. Le roman emprunte à la fois au documentaire et à une manière de polar. L’instruction puise allègrement sa source dans la langue judiciaire, carcérale et policière, pour décrire la vie prégnante et épuisante au cœur du système judiciaire français. Anti-polar, objet de critique de la société française contemporaine sous un angle inédit, L'instruction captive et inquiète. Au-delà de nos petits narcissismes moraux et politiques, comment ne pas prendre acte du malaise croissant de l'enquêteur pour un refus de se résigner à accepter la position qui nous a été assignée dans cette société de contrôle ?  Antoine Brea est invité à Mission encre noire. Extrait:« Christian-Hervé Maréchal était un être grand, massif, empâté mais qui en imposait, il avait le cheveu grisonnant qui tranchait avec son teint sombre, méditerranéen presque, son nom de guerre quand il prenait part à l'action de près était Nous voilà, rapport à son patronyme, a-t-il glissé dans un sourire en feignant d'espérer ne pas choquer, on sentait le policier désormais plus soucieux de ce qui se trouvait au-dessus de lui qu'au même niveau ou en dessous, et on devinait qu'il avait avec ses supérieurs, avec les gens qui servaient son ascension - les cadres du ministères, ceux de la préfecture - mais seulement avec eux des rapports d'habileté, de souplesse, d'empressement, des rapports où il s'attachait plutôt à les satisfaire qu'à parfaire sa bonne réputation par l'exercice consciencieux de ses fonctions. Il s'est excusé de devoir laisser chuinter la grosse radio posée sur l'appui d'une des fenêtres, mais une opération de démantèlement d'un réseau de trafic s'était précipitée le matin, raison pour laquelle le groupe «stupéfiants» de la Sûreté n'avait pu se rendre disponible pour un entretien, lui-même devait rester à l'écoute (un commissaire central en argot de flics c'est un œil - ce fameux œil, le redoutable emblème de la police, comme écrit Balzac - mais dans les faits c'est surtout une oreille, s'est-il gargarisé l'air matois), avec ma permission il laisserait donc le soin à Pérault et à Harounian de me présenter leur service et de me faire visiter les locaux si j'y tenais. Déjà les présentations étaient finies, il ne m'avait pas fait asseoir. Je n'en étais pas mécontent, moi qui m'étais retenu tout le temps de tousser ou d'éternuer.»
60 min
Mission encre noire 27 avril
Émission du 27 avril 2021
Mission encre noire Tome 31 Chapitre 356. Ville contre Automobiles, redonner l’espace urbain aux piétons par Olivier Ducharme Paru en 2021 aux éditions Écosociété dans la collection Polémos Combattre, débattre. Dans la ville de demain, la voiture n'aura pas lieu d'être. Pour vous en convaincre Olivier Ducharme se propose de remettre les pendules à l'heure avec cet essai courageux et lucide. L'automobile est un piège dans lequel un pan entier de la planète est tombé. L'auteur livre un état des lieux exhaustif des dégâts  causés sur la ville et notre environnement direct par ce qu'il faut bien reconnaître comme l'invasion grandissante de ces «requins d'acier». L'automobile est devenue, à notre corps défendant, l'étalon de mesure de la planification urbaine, au détriment de la tranquillité de ses habitants. Sur le modèle de certaines métropoles européennes, Olivier Ducharme réclame ni plus ni moins que le bannissement des autos au profit du transport collectif, et de la marche, pour remettre la vie de quartier et une réelle transition écologique au coeur de nos préoccupations. Je reçois Olivier Ducharme à Mission encre noire. Extrait:« Broadacre City ressemble à une énorme banlieue qui s'étend à la grandeur du pays. Il devient difficile d'appeler cela une ville ; nous sommes plutôt devant un découpage du territoire divisé en unités d'une acre et traversé par un circuit d'autoroutes et de superautoroutes. Broadacre City est demeurée une vue de l'esprit. Nous ne sommes toutefois pas trop dépaysés face au portrait offert par Wright. Le parallèle avec la vie de banlieue actuelle est frappant. En plus de voir son utopie demeurer lettre morte, Wright a constaté que sa critique générale de la place de l'automobile dans les villes n'a pas été entendue. Pour Wright, la ville traditionnelle est trop étroite pour accueillir du matin au soir un flot continu d'automobiles. Il fallait repartir sur de nouvelles bases pour que les villes s'adaptent à la vitesse des automobiles et à leur constant besoin d'espace.» Faut-il en finir avec la civilisation, primitivisme et effondrement, par Pierre Madelin, paru en 2021 aux éditions Écosociété dans la collection Polémos Combattre, débattre. Et si les sources de la crise écologique actuelle se trouvaient quelques part il y a une dizaine de milliers d'années ? Est-il raisonnable de penser que c'est notre sédentarisation qui marquerait le début de la destruction de la nature ainsi que de celui de notre soumission à des systèmes de pensée écocides? Pour les partisans des théories primitivistes la réponse est oui. Pierre Madelin examine à la loupe ces propositions, dans l'urgence, comme s'il pressent le danger de tomber dans un piège idéologique se drapant dans les valeurs et les idéaux d’un monde moderne aux abois et avide de solutions à court terme. En contrepoint, l'auteur se consacre au rapport que les sociétés occidentales entretiennent avec la nature, à travers le «culte de la wilderness» (nature sauvage) par le biais de l'histoire de la création des grands parcs nationaux américains au XIXeme siècle et la rencontre de figures marquantes du mouvement tels Edward Abbey, John Muir et Henry David Thoreau. Pierre Madelin est invité à Mission encre noire. Extrait:« Sur le plan littéraire, c'est sans doute dans le Désert solitaire d'Edward Abbey, publié en 1968, que s'exprima avec la plus grande vigueur - mais aussi avec un sens de l'humour décapant - la critique déjà ancienne des parcs nationaux et de leur aménagement. Alors qu'il était employé saisonniers du parc national des Arches dans l'Utah, Abbey décrivit avec amertume tout ce qu'une zone naturelle protégée par l'État «comporte de policiers, d'administrateurs, de routes goudronnées, d'itinéraires aménagés pour les voitures, de points de vue panoramiques officiels, de terrains de camping obligés, de laveries automatiques, de cafétérias, de distributeurs de Coca-cola, de toilettes à chasse d'eau et de droits d'admission». Mais ce sont indéniablement les voitures, qu'il nomme selon les pages «coquilles métalliques», «mollusques à roulettes» ou fauteuils roulants motorisées», qui suscitèrent ses critiques les plus acerbes. Aussi appelle-t-il les visiteurs à quitter leurs voitures, à délaisser un rapport purement spectaculaire aux paysages afin de renouer avec une expérience physique, charnelle du monde: «soulevez vos derrières en caoutchouc-mousse, levez-vous, tenez-vous droit comme des hommes ! comme des femmes! comme des êtres humains! et marchez - marchez - MARCHEZ sur votre terre douce et bénis !». »  
60 min
Mission encre noire 13 avril
Émission du 13 avril 2021
Mission encre noire Tome 30 Chapitre 355. La révolution d'Agnès de Jean-Michel Fortier paru en 2021 aux éditions La Mèche. Émoi à Percé, un mystérieux cuirassé vient de mouillé l'ancre face au rocher, toutes ses tourelles et ses canons parés pour l'assaut. Il aura suffit que l'animatrice Patricia Denis, annonce l'évènement au téléjournal pour que la ville prenne un air grave. Il n'y a pas de panique, pas encore. Nous sommes à la fin des années 60, les gens se salue dans les rues, une veille dame en bigoudis sous son fichu promène son chien. À la pension Sergerie, Agnès et sa logeuse contemplent comme au théâtre cet étrange ballet. Elle, qui passe ses soirées, dans sa chambre orange, à fixer la mer, perdu dans ses rêveries, voit dans l'arrivée du navire de guerre et de son bataillon de femmes comme un message d'espoir. Défendu avec élégance par une plume rêveuse caractéristique du style de l'auteur, ce roman raffiné nous invite à une révolution pas comme les autres. Petit à petit le nuage du mystère s'estompe pour dévoiler un projet féministe aussi inouï que secret. Jean-Michel Fortier est invité à Mission encre noire. Extrait:« Agnès allume la télévision. Tout le monde se tait pendant que se disperse la neige de l'écran et qu'apparaît ce visage fin surmonté d'un front luisant, lui-même surmonté d'un chignon. Une voix s'élève, grave, mesurée, lénifiante: il est onze heure du soir et Patricia Denis s'empare des ondes. Elle va encore parler de nous, vous allez voir, elle va parler de nous, écoutez bien, vous verrez ! scande madame Sergerie, un ongle carminé entre les dents. Vous l'observez de profil, son agitation vous trouble. D'un geste discret, vous demandez à Harold si elle a vidé une bouteille avant votre arrivée. Il secoue la tête, il s'oublie et répond tout haut: non, à ce que je sache, elle a tété une tisane toute la soirée. Patricia Denis se tape le dessus de la tête comme pour replacer une barrette qu'elle n'a pas. Elle ne s'est pas interrompue, ne s'interrompt jamais, elle est un canal clair, une décharge; laissez l'information me traverser, semble-t-elle toujours souhaiter placidement. Les phrases coulent de sa bouche dans une musique de dictée. Les téléspectateurs se bercent, trouvent leur rythme, tantôt butant sur le dernier mot, tantôt espérant le prochain, si bien que chacun se replonge dans es jours de petite école, si bien que tous qu'ils soient, croient possible de voir Patricia Denis se lever de son fauteuil, étirer un bras, leur coller une étoile dorée au front. mais elle reste là, assise au fond de son studio, à Montréal, très loin de la pension de Madame Sergerie, à parler comme une française.» Pauvreté sous la direction de Stéphanie Roussel paru en 2021 aux éditions Triptyque. L'autrice ne s'attendait probablement pas à constater à quel point son entourage littéraire direct était composé de transfuge de classe. C'est quoi être pauvre ?  Par la voix familière de sa mère, qui a élevé seule deux enfants: la pauvreté c'est dans la tête. On devine, depuis, que cette question a souvent taraudé l'esprit de la jeune autrice. Pourtant Stéphanie Roussel refuse de se laisser embarquer plus loin dans cette lecture fataliste des choses de la vie. Dans la préparation de ce livre, elle se hasarde à inviter une partie de ses proches à lui confier des textes. Puis, bien décidée à mettre fin au sort qui s'acharne, elle étend sa demande à un cercle élargi: As-tu déjà été pauvre ? Douze autrices et auteurs répondent oui. Marie-Célie Agnant, Jennifer Bélanger, Pascale Bérubé, Marilou Craft, Nicholas Dawson, Jean-Guy Forget, Jonathan Lemire, Mariève Maréchale, Alex Noël, Emmanuelle Riendeau, Karine Rosso se joignent au projet. Mises à nu, ces voix s'exposent sous formes de poèmes, de récits et de nouvelles pour mieux déjouer l'expérience qui les a contraint.e.s au manque. Je reçois, Stéphanie Roussel à Mission encre noire. Extrait:« depuis que je suis petite, je vois des femmes pauvres, sans éducation, provenant de la classe ouvrière en faire plus avec leurs cheveux/elle doivent crêper, boucler, monter, gaufrer, alourdir de fixatif/j'entends ma mère me parler de ses cheveux, le fer à friser dans une main et un peigne à queue dans l'autre, me dire qu'ils sont trop plats, qu'ils n'ont pas assez de volume, qu'ils font dur, qu'elle a l'air d'une vraie folle et qu'elle n'est jamais, jamais satisfaite de sa tête/toutes ces femmes compensent par leurs cheveux ce qu'elles n'ont pas ailleurs ; l'épaisseur du porte-monnaie ou l'aisance à vivre. entre autres/la hauteur des talons est importante aussi, toutes ces choses ne dépendent pas de la présence physique de l'argent mais du désir d'être dans une féminité totale. les produits et les matériaux sont de mauvaise qualité mais l'effet est là ; elles sont présentes. prennent de la place. au-dessus de tout avec leurs cheveux et leurs talons même invisibles.»
60 min
Mission encre noire 30 mars
Émission du 30 mars 2021
Mission encre noire Tome 30 Chapitre 354. Les choses réelles de Mathieu Blais paru en 2021 aux éditions VLB. Mathieu Blais présente ici une collection de vingt-cinq textes qui ont été écrits au cours des treize dernières. D'abord édité en 2005 avec Que le cri détaché de ta colère, un recueil publié aux éditions Trois pistoles, l'auteur multiplie depuis les ouvrages pour lesquels il obtient de nombreux prix, dont celui de la nouvelle Radio Canada pour un texte qui deviendra une partie de son roman Sainte famille publié en 2017 chez Leméac. les nouvelles et les poèmes que vous allez découvrir pour la première fois réunis, témoignent de l'engagement total pour l'acte d'écrire, considéré par l'auteur comme «un geste de générosité, de résistance et de liberté». Mathieu Blais s'applique, tel un artisan courbé sur son établi, à forger ce recueil entre «les éclats et les éclisses» d'une langue qui se déploie et qui s'insinue dans les creux et les vides, une langue aiguisée prête à se lancer au combat comme on se jette dans le vide. La richesse des thèmes abordés ici, illustre à merveille la diversité du travail de l'auteur. Les choses réelles vous donne le loisir d'aborder plusieurs territoires chères à l'auteur, qui utilise aussi bien les ressources de l'imaginaire et du langage pour atomiser ces frontières qu'il exècre. Dans l'aube d'un attentat bandé, assemblé de neuves voyelles et d'irradiantes consonnes, j'accueille Mathieu Blais, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« À mon retour hors de moi, désassoiffé, j'ai placé de nouveaux mots sur les murs du salon. De grands mots larges d'épaules, la barbe bien prise et les jambes solides. Il y en avait de toutes les sortes: des longs, des courts, des rapides. Il y avait aussi des mots sacreurs, des mots cochons et des mots qu'on ne dit pas, ou peu, ou rarement, ou simplement lorsque l'occasion se présente. Je n'ai pas lésiné sur la variété, et encore moins sur le nombre. J'ai passé une bonne partie de la journée à les fixer aux murs avec de petits clous argentés. Ils n'ont pas crié. C'est à peine s'ils ont résisté. Le marchand de mots me l'avait bien dit: Vous verrez, ils sont dociles. Évidemment, il y en a des plus lourds ou des plus vicieux, mais, dans l'ensemble, ils sont relativement généreux de leur personne. Pour les fixer au mur, vous n'aurez qu'à les prendre par le bout du mot, comme ça. Puis, en les soulevant dans les airs pour bien laisser pendre leur queue, vous n'aurez qu'à les flatter, de haut en bas. Dans cette position, ils s'endorment presque tout de suite. Vous verrez, après, ce sera beaucoup plus facile pour les clouer au mur. Ils seront moins prévisibles.» Dans ce deuxième volet d'émission, je vous livre une sélection de lectures qui a occupé ces récents mois de COVID. Musique: Philippe Katerine, moments parfaits de Thierry Jourdain paru en 2020 aux éditions Le mot et le reste, Brian Wilson, interview, Malibu 1992 de Michka Assayas paru en 2020 aux éditions Le mot et le reste. Polar: La proie de Deon Meyer paru en 2020 aux éditions Gallimard dans la collection Série Noire, La face nord du coeur de Dolores Redondo paru en 2021 aux éditions Gallimard dans la collection Série Noire. 
60 min