Mission encre noire
Émission du 2 novembre 2021
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 369. Une autre vie est possible par Olga Duhamel-Noyer paru en 2021 aux éditions Héliotrope. La mère de Valéry est chef de cellule. L’appartement de la rue Bloomfield accueille volontiers des militant.e.s d'origine et de provenance variées. Micheline organise les distributions de tracts pour toutes les boîtes aux lettres du quartier. Certain.e.s camarades préparent des blitz d'affichages, pendant que d'autres préparent une visite à l'entrée des usines de textile de la rue Chabanel. Pour toutes et tous, un autre ailleurs est possible, un autre rêve est accessible : le communisme. Valéry y croit lui aussi, vraiment. Cuba, le Chili, l’Argentine et Moscou sont souvent de la fête jusque très tard dans son salon. La vie démocratique est heureuse, pour un temps seulement. Sur le chemin de la lutte, des choses reviennent dans le présent qui change, des déjà-vu ailleurs. Le grain de sable d’une rupture amoureuse a quelque chose de familier, trop peut-être. De quoi faire dérailler l’emballement des plus belles machines comme ternir le rêve du grand soir. Dressez les étendards, les marteaux et les faucilles, j’accueille Olga Duhamel-Noyer à Mission encre noire.
Extrait:« Dehors, il y a la ville, la campagne et la forêt. Et de nouvelles rues sont tracées en périphérie, en banlieue. On ne voit pas toujours à quoi veulent en venir ceux qui les habitent. Des bungalows, des maisons neuves. Étincelantes de propreté. Beaucoup de ces maisons récentes sont bâties sur des parcelles où l’on plantait depuis longtemps des choux, des oignons, des carottes, des navets et des patates, tout en élevant des poules et quelques cochons. Et de grosses machines ont nettoyé des zones boisées qui n’avaient pas encore été défrichées. Les gens ont parfois cru bon de laisser ici ou là un grand sapin. Sinon ses grands-parents, Valéry ne connaît personne qui habite un bungalow. Dans les journaux, semaine après semaine, des articles présentent des maisons modernes avec les plans pour les construire. Son grand-père a fait bâtir une petite maison à partir de ce genre de plans. Le neuf promet un avenir heureux. On trouve en ce temps-là sur les étalages des magasins bien moins de choses qu’aujourd’hui. L’ironie est que les gens sont alors complètement hypnotisés par le fait qu’il y a davantage de tout. L’expression «société de consommation» continue de se répandre, elle permet de décrire ces montagnes de cadeaux que reçoivent les enfants. Les parents plus éduqués résistent un peu, offrent des jouets éducatifs, en bois le plus souvent. Tous les adultes sont frappés par le contraste avec leur propre enfance, par le nombre vertigineux de cadeaux qui sont offerts aux plus jeunes, par cette étourdissante abondance. Les militants ne sont cependant pas dupes, ils ne perdent jamais de vue la hideur du libre marché, sa monstruosité. Ils savent que la logique libérale implique l’exploitation pour être florissante. Valéry hait de toutes ses forces le capitalisme, la passion des garçons et des filles de son âge pour les vedettes le tourmente, la camelote des centres commerciaux lui fait le même effet. »
Dans la solitude du terminal 3 par Éric Mathieu paru en 2021 aux éditions La mèche. Nathan Adler habite Ottawa, nous sommes en 1984. Lors d’une banale soirée d’hiver, rentrant chez lui, dans le quartier de Mechanicsville, à l’ouest de la ville, un chauffeur perd le contrôle de son véhicule. Il se fracasse contre un poteau électrique. L’homme bien habillé, un peu plus âgé que lui, est blessé. Il prends néanmoins la direction, à pied, d’une petite maison rue Bromley. Un lieu qui va devenir rapidement incontournable. Nathan y découvre un étrange manuscrit intitulé : dans la solitude du Terminal 3. L’homme et la voiture accidentée ont disparu soudainement. Parti à la recherche de cette énigme, il fera la rencontre d’un groupe qui gravite autour du fascinant et toxique écrivain Antoine Dulys. Il devine bien vite son insatiable envie de devenir un écrivain. Celui-ci s'arrange pour que le jeune homme lui soit redevable. Il cède plus souvent qu'à son tour, trop. La vie de Nathan s’apprête à partir dangereusement en vrille. Je vous propose de vous laisser aller à un dérèglement des sens, ce soir, à Mission encre noire en compagnie d’Éric Mathieu.
Extrait:« J'ai dormi jusqu'à quatorze heures. J'avais vomi dans mon sommeil. Une petite flaque décorait mon oreiller et une odeur acide flottait dans ma chambre. J'avais mal partout, aux muscles, aux os, à la tête et j'ai eu de la difficulté à me lever. Dans la salle de bain, je me suis regardé longtemps dans la glace, étudiant d'éventuels changements surgis dans la nuit. L'ampoule au plafond dessinait des ombres bizarres sur le mur, mon corps était entouré de bâtonnets fluorescents et d'étincelles lumineuses. Mon visage et mes épaules se dédoublaient. Mes deux figures ont dansé devant moi pendant quelques minutes, puis je suis revenu à mes esprits. Mon quart était long et pénible. J'étais épuisé et il y avait un monde fou en salle, des clients exigeants qui n'étaient pas satisfaits de leurs plats et qui les renvoyaient en cuisine. Je faisais de mon mieux, mais je n'arrivais pas à me concentrer. Vers vingt et une heures, j'ai aperçu par le hublot de la cuisine qui donnait sur la salle du restaurant un homme assis dans un coin en train de lire le journal. Il ressemblait à Adam Benson. Je suis sorti de la cuisine pour aller m'accouder au bar. D'où je me tenais, je voyais mieux: c'était bien lui. Étrange coïncidence. Que faisait-il au Rubens?»
Feuille de route
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Émission du 27 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 412. Troubles, nos ombres un collectif dirigé par Jennifer Bélanger paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. La colère ne se tarit pas dixit l’autrice. De l’élaboration de ce projet à l’été 2020, à son achèvement en 2022, Safia Nolin deviendra la bête noire des réseaux sociaux malgré son récit d’agressions subies de la part de Maripier Morin, la montée de la droite aux États-Unis et celles des conservatismes en général dans le monde, dès lors menace les droits fondamentaux des personnes minorisées. Les textes réunis ici par Jennifer Bélanger offre un espace sécuritaire à 11 artistes non seulement pour témoigner de l’urgence de dire les dangers qui guettent les personnes LGBTQ2IA+, mais également pour nous partager des récits de vie poignants. Qu’il s’agisse d’amitié, de rapports amoureux, de désirs, de colère, de résistance, Étienne Bergeron, Julie Bosman, Marilou Craft, Nicholas Dawson, Martine Delvaux, Sandrine Galand, Maude Lafleur, Mael Maréchal, Roxane Nadeau, Mélanie O’Bomsawin et Justina Uribe se réunissent sous l’ombre lumineuse et créatrice de Jennifer Bélanger, qui est mon invité, ce soir, à Mission encre noire.
Émission du 6 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 411. Mise en forme par Mikella Nicol paru en 2023 aux éditions Le Cheval D’août. À la suite d’une rupture amoureuse encore fraîche et de l’aménagement en catastrophe chez un ami, la narratrice se jette à corps perdu dans l’entraînement physique. Malgré que son corps deviennent de plus en plus performant, la dépression gagne du terrain, il y a toujours quelque chose qui cloche. Ce qui s’impose très vite comme la seule activité encore valable à ses yeux va devenir un sujet de réflexion tenace. Et si, en dépit des injonctions bénéfiques assénées par les vidéos de fitness, les programmes de remises en forme n’étaient que la partie émergée d’une problématique plus vaste. Pour l’autrice l’idée jaillit en croisant un inconnu malveillant dans la rue. Le lien qui unit violence et beauté ne fait plus aucun doute. Ou comment l’industrie du fitness, entre autre, confirme la main mise d'une esthétique patriarcale, coloniale et fossile, sur le discours ambiant, dixit Paul B. Preciado. On peut se demander, ici, comment un tel système, qui vise la soumission collective totale des corps, se met-il en place ? Les femmes en particulier, tels des objets inoffensifs, se doivent de collaborer, bien entendu, à leur corps défendant, à des modèles hétérosexuels astreignants. Ce livre à mi-chemin de l’essai et du récit autobiographique laisse libre court à une parole qui refuse de rentrer dans le moule. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mikella Nicol.
Émission du 23 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 410. Daniel Grenier Héroïnes et tombeaux paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Alexandra Pearson, originaire du Tennessee, lit le New York Times dans cette ville secondaire brésilienne à l’ouest de Porto Alegre : Uruguaiana. Aujourd’hui journaliste, la jeune femme qui avait cheminé aux côté de Françoise dans le roman précédent de l’auteur, part à la recherche, cent ans plus tard, d’un étrange personnage, Ambrose Bierce, auteur du Dictionnaire du diable. Il serait mort fusillé en 1915 au Mexique et réapparu, bien vivant, à des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, elle devra mettre la main sur un manuscrit inédit. Pendant ce temps, comme l’annonce le journal, une certaine Helen Klaben décède à l’âge de 76 ans. Autrefois, elle a fait la Une du Life magazine, le 12 avril 1963, après avoir survécu 49 jours dans le froid du Yukon suite au crash de leur avion le 3 février 1963. Étrange coïncidence, ce nom, lui semble familier. Il lui remémore un souvenir amer, celui de Françoise, cette fille à qui elle n’a fait que mentir. À l’époque elle se faisait appeler Samantha. Dans ce troisième livre qui se veut un hommage à Ernesto Sabato, l’auteur nous entraîne dans un étrange roman d’aventures dans lequel il explore une fois encore le territoire américain et il s’interroge sur la responsabilité de celui qui raconte les histoires des autres. Sur un air de Carioca, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Daniel Grenier.
Émission du 16 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 409. Exercices de joie par Louise Dupré paru en 2023 aux éditions du Noroît. Dernier fascicule du triptyque traitant des possibilités du poétique face à l’horreur et à la détresse entamé avec Plus haut que les flammes en 2010 puis La main hantée en 2016, Exercices de joie présente la poète fébrile, les côtes friables, hantée par des rêves qui la réveillent la nuit. Toutefois Louise Dupré n'abdique pas pour autant. Elle revendique le désir de se tenir debout devant un paysage en ruines quitte à s'accrocher à ses mots comme à une bouée. Car, s'il est peut-être vain de vouloir comprendre l’envers du monde quand le temps fuit entre nos doigts, pourquoi ne pas apprivoiser les douleurs, en oublier la piqûre de l’aiguille. L’écriture, telle une veine fragile qui palpite encore, se mue en écorce revêche, pour combattre en prose et en vers. Si la suie de Birkenau ou de Auschwitz la poursuit encore, si l’ombre de la main coupable du second recueil habite encore les pages, les poèmes explorent ici une autre voie, plus apaisée. Celle de la douceur, celle de la joie, que l'autrice défini comme cet instant précieux et rare ou le cœur module ses élans. Il est du devoir de la poète de donner à voir cette faible clarté bienveillante qui conduit sa main. Certes, le cercle des poètes disparus s’agrandit un peu plus chaque jour, le monde chancelle ; non, elle ne vacillera pas ; l’autrice appartient à la généalogie des femmes qui n’ont jamais renoncé. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Louise Dupré.
Émission du 2 mai 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 408. Le plein d’ordinaire par Étienne Tremblay paru en 2023 aux éditions Les Herbes Rouges. Asti qu’était belle! se dit Mathieu alors qu'il entre dans le Pétro sur le boulevard qui mène vers Longueuil, proche de l’usine Weston. Elle, c’est Val, sa future collègue que l’adolescent de Boucherville va chercher désespérément à séduire. Le futur cégépien est persuadé d’être promis à un grand destin de poète, cela sera-t-il suffisant pour elle? En attendant, il travaille de nuit dans une station-service à distance de vélo de chez lui. Une job parfaite qui lui permet de lire à sa guise, de consommer ses trois gammes de pot, de voler des cigarettes et de manger à volonté. Mathieu illustre à merveille la chronique ordinaire d’un ados de banlieue des années 2000. Une jeunesse qui se mélange, qui se passionne, qui se voit un avenir exceptionnel, qui rêve la vie en grand plutôt qu’à travers le miroir aveugle de l’écran noir d’un cellulaire. Mathieu n’a rien de différent des autres, si ce n’est l’élan que lui procure une sensibilité exacerbée et un certain goût du risque. Des excès qui fatalement se fracasseront contre le mur des réalités. Voici un roman initiatique qui relate l’aventure épisodique, très attachante, d’un jeune homme en quête de lui-même, pris au centre de son univers sensible, près à devenir un autre Mathieu, même s'il ne sait pas très bien encore à quoi cela ressemblera. J’accueille, ce soir à Mission encre noire, Étienne Tremblay.