Mission encre noire
Émission du 9 février 2021
Mission encre noire Tome 30 Chapitre 349. Les carnets de l'underground de Gabriel Cholette avec des illustrations de Jacob Pyne paru en 2021 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. Le temps d'un black out, Gabriel ne peut vraiment pas dire ce qu'il s'est passé, probablement trop de dope et de fatigue accumulée. Il reprend conscience au milieu d'une rue, à Berlin, Montréal, Miami ou Paris, peu importe. Sa gang d'allié.e.s rassure la population Instagram, ils l'ont retrouvé, un peu amoché et prêt pour la suite. Tout va très vite pour les club kids dans ce livre, un groupe de fêtards excentriques qui célèbre les soirées subversives des scènes raves clandestines d'ici et d'ailleurs. Ne vous y méprenez-pas, ces jeunes activistes de la débauche sans fin, inspirent encore la mode et les arts graphiques aujourd'hui. Gabriel Cholette choisi de revenir sur son époque d'excès en tous genres: de sexe, de drogues et de nuits d'afters dans les meilleurs clubs de la planète. Par de là les clichés moralisateurs sur ces bacchanales, ces lieux se révèlent également un espace sûr d'expression et de créativité pour une minorité marginalisée. Dans cette quête effrénée de plaisirs, ces carnets explorent volontiers la mise en place, en toute indécence, d'un discours qui vise à refuser les représentations policées de l'homosexualité. Nous descendons, ce soir, les marches d'un univers excitant et exubérant en compagnie de l'auteur, Gabriel Cholette est invité à Mission encre noire.
Extrait:« Je pense qu'une partie de moi a collé le gars pour devenir plus proche de Manue et pour avoir des choses à raconter le lundi à l'école. Au moment même où je le sentais grinder dans mon dos, j'étais déjà bandé et ç'a pas pris de temps pour qu'il mette ses mains dans mon pantalon. Je pense pas qu'on a frenché, ç'a plutôt été complètement physique - ce qui me dérangeait pas, faut dire. J'ai à peine parlé, trop content de retourner vers Manue pour lui raconter ce qui s'était passé. Ça m'a laissé une grande impression parce qu'elle a pas réagi à mon histoire, elle qui avait déjà entendu toutes celles de Dono, de son chum au conservatoire et de JF, qui avait pas fait son coming out à l'époque, mais qui était déjà la queen du U. La soirée s'est terminée trop vite et je suis rentré chez moi par la fenêtre (ce qui était vraiment pas nécessaire parce que mon père s'inquiétait pas trop avec ces choses-là). Le lendemain, je stalkais Dono et JF sur Facebook pour me rendre compte qu'ils avaient publié des mois plus tôt une photo dans un after chez le gars qui m'avait touché, un dude random qui devait frôler la quarantaine, dont on m'a assuré par la suite qu'il était fin, mais qu'il avait le défaut de chiller avec des boys beaucoup trop jeunes faussement certifiés adultes avec leurs belles cartes en papier. J'étais pas encore conscient des questions éthiques soulevées par l'événement, j'étais juste content d'entrer dans le réseau des sluts et d'avoir été touché par quelqu'un qui avait aussi touché certains de mes amis.»
Errance de Mattia Scarpulla paru en 2020 aux éditions Annika Parance Éditeur. Stefano vient de perdre son travail à l'International Sealines Association, une organisation patrimoniale conservant les traces du débarquement de Normandie. Le Havre est son lieu de résidence avec Sophie, sa femme et sa fille Elisa. Originaire de Gênes ou bien est-ce de Turin ? Stefano perd son temps entre des rendez-vous inutiles dans les services de Pôle emploi. Lorsqu'il accepte un programme d'études à Brest, dans le Finistère, son passé militant ressurgit soudain. Sa vie d'avant refait surface sous la forme de souvenirs encombrants. Naguère, il a fuit l'Italie pour le nord, sous la pression politique d'une police d'État aux abois. De rencontres, en découvertes, celui qui se nomme alors Bruno, va parcourir, par amour, l'échiquier de mouvements activistes des années 70-80, une période faste pour la lutte armée anti-capitaliste. Mattia Scarpulla nous invite à considérer l'éclairage sombre que projette vers nous le soleil noir des années de plomb italiennes. L'indéniable désir de vengeance qui mène la vie de Stefano se révèlera sous un autre jour une fois confronté au harcèlement de spectres dévastateurs. Ci-gît un passé loin d'être pacifié, auquel il est parfois impossible d'échapper sinon, sans doute, en prenant le risque de se heurter à sa propre folie. Errance est un premier roman à boire au goulot pour en atténuer les aspérités car la loi du choix de la violence est la même que celle de la vie: il faut savoir sauver sa peau. Mattia Scarpulla est invité, ce soir, à Mission encre noire.
Extrait:« À l'aide de seringues miniatures, nous avons introduit des laxatifs et des analgésiques dans diverses boîtes de conserve. Nous ne nous sentons pas à l'aise avec cette action. Sam nous rassure en affirmant que les gens croiront que les effets sont provoqués par la nourriture. Les infectés porteront plainte contre les grands producteurs alimentaires. Nous choisissons les produits des marques Campbell's et Kraft. Nous faisons le tour des supermarchés de Groningue, nous les marquons d'une croix rouge sur une carte. Denise allongée entre deux rayons alimentaires. Un commis autour de la cinquantaine assis sur elle. Il lui tient les bras plaqués au sol. Sam et Samantha près de moi. Pétrifiés. Il faut agir. Maintenant. Je frappe l'homme à la tête avec une grosse boîte de petit pois Kraft. Dès qu'il s'écroule à côté d'elle, Denise, comme un chat, court à quatre pattes vers la sortie, où je la perds de vue. Je me tourne. Sam et Samantha sont encore là, immobiles. Mon énervement monte. Je les gifle, ils se réveillent, nous sommes entourés par d'autres commis, nous courons, nous bousculons les corps, nous rejoignons la sortie. Je m'arrête. Sam et Samantha sont loin devant moi. Ce n'est pas juste. Il y a quelque chose qui me met en colère chez ces gens qui travaillent au supermarché, qui nous ont entourés, qui auraient pu nous agresser. Je retourne dans le magasin, je serre à la gorge la première employée que je rencontre, je la pique avec la seringue, lui injecte le laxatif et la jette au sol. Je l'entends crier pendant que je cours au loin.»
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Émission du 27 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 412. Troubles, nos ombres un collectif dirigé par Jennifer Bélanger paru en 2023 aux éditions Triptyque dans la collection Queer. La colère ne se tarit pas dixit l’autrice. De l’élaboration de ce projet à l’été 2020, à son achèvement en 2022, Safia Nolin deviendra la bête noire des réseaux sociaux malgré son récit d’agressions subies de la part de Maripier Morin, la montée de la droite aux États-Unis et celles des conservatismes en général dans le monde, dès lors menace les droits fondamentaux des personnes minorisées. Les textes réunis ici par Jennifer Bélanger offre un espace sécuritaire à 11 artistes non seulement pour témoigner de l’urgence de dire les dangers qui guettent les personnes LGBTQ2IA+, mais également pour nous partager des récits de vie poignants. Qu’il s’agisse d’amitié, de rapports amoureux, de désirs, de colère, de résistance, Étienne Bergeron, Julie Bosman, Marilou Craft, Nicholas Dawson, Martine Delvaux, Sandrine Galand, Maude Lafleur, Mael Maréchal, Roxane Nadeau, Mélanie O’Bomsawin et Justina Uribe se réunissent sous l’ombre lumineuse et créatrice de Jennifer Bélanger, qui est mon invité, ce soir, à Mission encre noire.
Émission du 6 juin 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 411. Mise en forme par Mikella Nicol paru en 2023 aux éditions Le Cheval D’août. À la suite d’une rupture amoureuse encore fraîche et de l’aménagement en catastrophe chez un ami, la narratrice se jette à corps perdu dans l’entraînement physique. Malgré que son corps deviennent de plus en plus performant, la dépression gagne du terrain, il y a toujours quelque chose qui cloche. Ce qui s’impose très vite comme la seule activité encore valable à ses yeux va devenir un sujet de réflexion tenace. Et si, en dépit des injonctions bénéfiques assénées par les vidéos de fitness, les programmes de remises en forme n’étaient que la partie émergée d’une problématique plus vaste. Pour l’autrice l’idée jaillit en croisant un inconnu malveillant dans la rue. Le lien qui unit violence et beauté ne fait plus aucun doute. Ou comment l’industrie du fitness, entre autre, confirme la main mise d'une esthétique patriarcale, coloniale et fossile, sur le discours ambiant, dixit Paul B. Preciado. On peut se demander, ici, comment un tel système, qui vise la soumission collective totale des corps, se met-il en place ? Les femmes en particulier, tels des objets inoffensifs, se doivent de collaborer, bien entendu, à leur corps défendant, à des modèles hétérosexuels astreignants. Ce livre à mi-chemin de l’essai et du récit autobiographique laisse libre court à une parole qui refuse de rentrer dans le moule. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Mikella Nicol.
Émission du 23 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 410. Daniel Grenier Héroïnes et tombeaux paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Alexandra Pearson, originaire du Tennessee, lit le New York Times dans cette ville secondaire brésilienne à l’ouest de Porto Alegre : Uruguaiana. Aujourd’hui journaliste, la jeune femme qui avait cheminé aux côté de Françoise dans le roman précédent de l’auteur, part à la recherche, cent ans plus tard, d’un étrange personnage, Ambrose Bierce, auteur du Dictionnaire du diable. Il serait mort fusillé en 1915 au Mexique et réapparu, bien vivant, à des milliers de kilomètres plus loin. Pour cela, elle devra mettre la main sur un manuscrit inédit. Pendant ce temps, comme l’annonce le journal, une certaine Helen Klaben décède à l’âge de 76 ans. Autrefois, elle a fait la Une du Life magazine, le 12 avril 1963, après avoir survécu 49 jours dans le froid du Yukon suite au crash de leur avion le 3 février 1963. Étrange coïncidence, ce nom, lui semble familier. Il lui remémore un souvenir amer, celui de Françoise, cette fille à qui elle n’a fait que mentir. À l’époque elle se faisait appeler Samantha. Dans ce troisième livre qui se veut un hommage à Ernesto Sabato, l’auteur nous entraîne dans un étrange roman d’aventures dans lequel il explore une fois encore le territoire américain et il s’interroge sur la responsabilité de celui qui raconte les histoires des autres. Sur un air de Carioca, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Daniel Grenier.
Émission du 16 mai 2023
Mission encre noire Tome 38 Chapitre 409. Exercices de joie par Louise Dupré paru en 2023 aux éditions du Noroît. Dernier fascicule du triptyque traitant des possibilités du poétique face à l’horreur et à la détresse entamé avec Plus haut que les flammes en 2010 puis La main hantée en 2016, Exercices de joie présente la poète fébrile, les côtes friables, hantée par des rêves qui la réveillent la nuit. Toutefois Louise Dupré n'abdique pas pour autant. Elle revendique le désir de se tenir debout devant un paysage en ruines quitte à s'accrocher à ses mots comme à une bouée. Car, s'il est peut-être vain de vouloir comprendre l’envers du monde quand le temps fuit entre nos doigts, pourquoi ne pas apprivoiser les douleurs, en oublier la piqûre de l’aiguille. L’écriture, telle une veine fragile qui palpite encore, se mue en écorce revêche, pour combattre en prose et en vers. Si la suie de Birkenau ou de Auschwitz la poursuit encore, si l’ombre de la main coupable du second recueil habite encore les pages, les poèmes explorent ici une autre voie, plus apaisée. Celle de la douceur, celle de la joie, que l'autrice défini comme cet instant précieux et rare ou le cœur module ses élans. Il est du devoir de la poète de donner à voir cette faible clarté bienveillante qui conduit sa main. Certes, le cercle des poètes disparus s’agrandit un peu plus chaque jour, le monde chancelle ; non, elle ne vacillera pas ; l’autrice appartient à la généalogie des femmes qui n’ont jamais renoncé. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Louise Dupré.
Émission du 2 mai 2023
Mission encre noire Tome 37 Chapitre 408. Le plein d’ordinaire par Étienne Tremblay paru en 2023 aux éditions Les Herbes Rouges. Asti qu’était belle! se dit Mathieu alors qu'il entre dans le Pétro sur le boulevard qui mène vers Longueuil, proche de l’usine Weston. Elle, c’est Val, sa future collègue que l’adolescent de Boucherville va chercher désespérément à séduire. Le futur cégépien est persuadé d’être promis à un grand destin de poète, cela sera-t-il suffisant pour elle? En attendant, il travaille de nuit dans une station-service à distance de vélo de chez lui. Une job parfaite qui lui permet de lire à sa guise, de consommer ses trois gammes de pot, de voler des cigarettes et de manger à volonté. Mathieu illustre à merveille la chronique ordinaire d’un ados de banlieue des années 2000. Une jeunesse qui se mélange, qui se passionne, qui se voit un avenir exceptionnel, qui rêve la vie en grand plutôt qu’à travers le miroir aveugle de l’écran noir d’un cellulaire. Mathieu n’a rien de différent des autres, si ce n’est l’élan que lui procure une sensibilité exacerbée et un certain goût du risque. Des excès qui fatalement se fracasseront contre le mur des réalités. Voici un roman initiatique qui relate l’aventure épisodique, très attachante, d’un jeune homme en quête de lui-même, pris au centre de son univers sensible, près à devenir un autre Mathieu, même s'il ne sait pas très bien encore à quoi cela ressemblera. J’accueille, ce soir à Mission encre noire, Étienne Tremblay.